Pertinence du
Wakefield Writers Festival des écrivains ​La Pêche
dans une période de crise et bouleversements
par Ilse Turnsen

Je suis revenue à Wakefield à bord d’un autobus nolisé en compagnie d’Hélène Giroux, du Wakefield Writers Festival des écrivains La Pêche, après avoir participé à la marche des femmes à Ottawa–un événement inspirant organisé en solidarité avec la marche des femmes à Washington le 21 janvier 2017. Des centaines de milliers de personnes de tous les genres, couleurs et cultures faisant la promotion de l’égalité ont participé à ces deux marches et à celles qui ont eu lieu ailleurs dans le monde.

Réfléchissant à la pertinence d’un festival des écrivains dans le contexte des difficultés politiques et environnementales actuelles, nous avons conclu que la célébration de l’écrit était on ne peut plus pertinente.

​Hélène m’a demandé si j’accepterais d’écrire mes réflexions. Les voici donc.

Nous vivons à une époque où d’innombrables menaces pèsent sur les systèmes fondamentaux essentiels à notre survie, sur les droits de la personne et sur la démocratie. Les mensonges, la propagande, la post-vérité et les stratégies de marketing abondent. Nous sommes bombardés d’informations et de nouvelles, parfois fausses, sur les crises qui se succèdent sans arrêt. La célébration des auteurs et de l’écrit sous la forme d’un festival des écrivains est-elle pertinente dans ce contexte? À cette question, je réponds « oui » sans hésiter!

Vandana Shiva, militante et physicienne nucléaire, est diplômée de l’Université Western Ontario. Elle a rédigé sa thèse de doctorat sur la théorie quantique. Dans une conférence intitulée Cultivating Diversity, Freedom and Hope (cultiver la diversité, la liberté et l’espoir) qu’elle a donnée en 2014, Mme Shiva invitait son auditoire à développer l’endurance mentale et la capacité émotionnelle nécessaires pour reconnaître le caractère indissociable fondamental de toutes les facettes de la vie. Cette perspective intégrative est cruciale pour faire des choix personnels et adopter des politiques économiques et sociales vraiment durables.

La fiction littéraire, la poésie et divers ouvrages non romanesques—qui englobent toutes les excentricités de notre expérience dans des mémoires, des biographies et des livres d’histoire, de philosophie et de sciences—contribuent à stimuler les muscles mentaux et émotionnels nécessaires pour comprendre les relations biosphériques et humaines complexes, subtiles et indivisibles qui constituent notre « réalité »; pour s’y retrouver dans l’avalanche dense et intense d’idéologies et de programmes politiques; et pour développer la résilience, le courage et l’énergie créative pour déterminer comment nous voulons embrasser l’avenir.

Après une lecture au Solstice Books (je m’ennuie toujours de cette librairie de Wakefield) du livre d’Alanna Mitchell, Seasick: The Global Ocean in Crisis, j’ai demandé à l’auteure si elle pouvait suggérer un premier pas pour défendre le rétablissement de la santé de nos océans. Elle m’a avertie avec raison que sa réponse serait étonnante. Celle-ci demeure toutefois l’un des fondements de mon action sociale : « Pardonnez aux pollueurs! »

La concurrence et les conflits entraînent le gaspillage des ressources humaines et environnementales. La guerre ne donne jamais rien. La compassion et le pardon permettent la collaboration. Le processus canadien de vérité et de réconciliation a donné lieu à des initiatives comme Réconciliation Canada, dont le principe unificateur est « Namwayut : nous sommes tous reliés ». En concrétisant cette vision d’un Canada dynamique et inclusif où tous les peuples atteindront leur plein potentiel et partageront la prospérité, nous pouvons apprendre à pardonner, à travailler ensemble et à respecter diverses perspectives et expériences pour bâtir la résilience.

J’ai trouvé l’un de mes modèles de comportement les plus importants dans la fiction littéraire. Ishval Darji et Omprakash Darji, dans L’Équilibre du monde de Rohinton Mistry, m’ont permis de connaître les forces sociales et historiques complexes qui empiétaient sur les droits fondamentaux de cet oncle et de son neveu qui, en dépit d’épreuves incroyables et d’une terrible injustice, conservent la résilience nécessaire pour survivre, s’aimer et profiter du moment présent. Hagar Shipley, dans L’Ange de pierre de Margaret Laurence, révèle l’effet corrosif de l’orgueil sur une vie humaine—et le pouvoir libérateur du pardon.

Viktor Frankl, survivant de l’holocauste, a écrit dans Découvrir un sens à sa vie : « On peut tout enlever à un homme sauf une chose : la dernière des libertés humaines, choisir son attitude face à n’importe quelle circonstance de l’existence, choisir sa propre voie. » Lucy Maud Montgomery, avec son adorable Anne Shirley, m’a amenée à comprendre comment un pommier en fleurs peut nourrir l’âme, quelles que soient les circonstances. (Elle m’a également donné l’idée d’adopter ma chère Sarah, à qui j’ai lu pour la première fois Anne et la maison aux pignons verts lors d’un voyage en canot dans le parc Algonquin, au cours duquel nous avons été confinés dans notre petite tente pendant deux jours de pluie battante). Bin Okuma, dans Requiem de Frances Itani, ainsi que Xavier et Niska, dans Le Chemin des âmes de Joseph Boyden, me rappellent que la guérison n’est pas seulement possible—c’est une priorité cruciale devant des injustices historiques comme les camps d’internement des Japonais au Canada et les répercussions abominables des pensionnats et des guerres mondiales.

Ces histoires et ces personnages s’infiltrent et nous animent, pour nous montrer à quoi ressemble la compassion, pour renforcer notre capacité de chercher la vérité et d’en témoigner, pour nous tourner vers la guérison et l’émancipation de chacun, et pour nous rappeler que :

Meanwhile the wild geese, high in the clean blue air, are heading home again.
Whoever you are, no matter how lonely, the world offers itself to your imagination,
calls to you like the wild geese, harsh and exciting-over and over announcing your place
in the family of things.

— Extrait du poème Wild Geese, de Mary Oliver

 

Le Wakefield Writers Festival des écrivains La Pêche donne aux citoyens l’occasion d’encourager des écrivains qui, à leur tour, alimentent notre sensibilité, et de participer directement à un processus créatif qui, loin d’être futile, brille au cœur même de l’être humain. Nous manifestons notre solidarité à nos écrivains et insistons sur la liberté d’expression des artistes.

Ilse Turnsen, Wakefield, Quebec